Accueil Economie Jean-Luc Mossier, consultant en innovation, à La Presse : «L’urgence climatique et les incertitudes géopolitiques accélèreront les changements»

Jean-Luc Mossier, consultant en innovation, à La Presse : «L’urgence climatique et les incertitudes géopolitiques accélèreront les changements»

Le marché des voitures électriques a connu une progression significative. Ce segment a évolué et continuera à se hisser dans les prochaines années. C’est dans ce cadre que nous avons contacté Jean-Luc Mossier, consultant en innovation. Mossier travaille notamment avec les fondateurs de Softcar SA, une startup suisse dans la mobilité électrique, dans laquelle il a également investi. Interview.

Quelle est la position actuelle de la Tunisie relative aux voitures électriques ?

 La Tunisie va suivre plus ou moins vite le mouvement européen. En Europe, nous sommes à l’aube d’un basculement total de la mobilité individuelle sur des motorisations électriques. Les nouvelles normes européennes ont fixé des échéances très fermes : il sera quasiment impossible de mettre sur le marché une voiture thermique après 2025. Globalement, nous n’avons pas le choix car les enjeux climatiques sont tels que la mobilité va devenir totalement électrique dans les dix ans qui viennent. La question pour moi est comment cette transition va se décliner dans les économies africaines, en particulier en Tunisie. La réponse est que les infrastructures ne sont pas prêtes et que les voitures électriques ne pourront pas entrer dans ces marchés avant de longues années.

C’est à la fois juste et faux. En Europe, on voit actuellement deux tendances, d’une part, une fuite en avant avec des gros 4×4 à 2.5 to qui embarquent des batteries de 100 kWh. Ces véhicules ont effectivement besoin d’une lourde infrastructure de recharge.  Ils ne polluent plus localement, ce qui est un avantage, mais leur bilan carbone n’est pas encore globalement spectaculaire.

En parallèle, on voit apparaître une nouvelle génération de city cars hyper légères à moins de 800 kg qui sont exemplaires en termes écologiques et n’ont pas besoin d’une infrastructure lourde en termes de bornes de recharge. Je pense que ce sont ces véhicules électriques qui ont un avenir immédiat dans les grandes villes africaines, et l’arrivée de ces véhicules légers déclenche a posteriori des équipements en infrastructure.  

Pouvez-vous nous éclaircir sur comment fonctionne la voiture électrique et où sont confectionnées ces voitures ?

En principe il y a deux grandes tendances. La première consiste à prendre un châssis de voiture existant et on le transforme en véhicule électrique. Ce qui donne en général des voitures trop lourdes, trop chères et peu performantes. D’ailleurs, beaucoup de constructeurs chinois se sont cassé les dents à essayer d’électrifier des véhicules existants. Soit, on re-design un véhicule et ce dernier sera pensé pour être électrique dès le départ. C’est ce qu’a fait notamment Tesla avec le succès que l’on connaît. Le projet Softcar est totalement innovant parce qu’il propose une architecture complètement nouvelle, avec des matériaux entièrement recyclables et un bilan carbone exceptionnel. Softcar est une city car de 4 places pour 630 kg qui est composée de 1.800 pièces au lieu de 50.000 pièces utilisées pour une voiture classique. Cette société utilise aussi un business model complètement nouveau ; elle ne vend pas de voitures produites depuis une usine quelque part en Europe.

Cette dernière souhaite transférer la technologie en vendant une licence à un industriel local tunisien qui produirait ses propres voitures électriques en Tunisie et parviendrait à créer 100 postes de travail ici en Tunisie.

Avez-vous l’assurance du gouvernement d’accorder des zones de recharge des batteries dans les grandes villes ?

Avec une city car ultralégère, la capacité de la batterie est de 14 kWh pour 200 km d’autonomie. Ceci demande entre trois et quatre heures de recharge, avec une rallonge 220 V. On peut la recharger le soir à la maison.  Il n’est pas nécessaire de disposer de bornes de recharge.

En quoi recharger sa voiture électrique peut-il poser problème ?

Normalement, il ne devrait y avoir aucun problème, cet acte doit rentrer dans les habitudes… Si vous êtes citadin, vous rechargez votre voiture, le soir en rentrant chez vous. Par contre, il est vrai que dans les immeubles résidentiels, il faut imaginer un système ou un modèle pour alimenter sa voiture dans le parking de l’immeuble.

La crise sanitaire a-t-elle influencé négativement le marché de la voiture électrique en Tunisie ?

Il est évident que la crise sanitaire a ralenti les économies et les investissements, partout dans le monde. Par contre, l’urgence climatique et les incertitudes géopolitiques, et leur impact sur le prix des carburants, font que les changements de standard pourraient au contraire s’accélérer. 

Quelle est votre vision pour le futur de la voiture électrique ?

La mobilité représente globalement un tiers du bilan carbone de la planète et l’urgence climatique va nous imposer des changements rapides. Sans quoi c’est le futur de notre civilisation qui pourrait être remis en cause. Soit nous roulons en voitures électriques, soit la question ne se posera peut-être plus.  

La plupart des fabricants parlent de la réussite du marché des véhicules électriques d’ici 2025 en Tunisie. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

La date de 2025 est probablement citée par analogie avec les nouvelles normes européennes « Euro7 », en 2025, qui vont de fait tuer les moteurs thermiques.

 A quelle vitesse et comment la Tunisie va hériter de ces nouvelles contraintes cela est incertain. Mais, encore une fois, je fais le pari que ce sont les nouvelles générations de city car qui vont apporter la mobilité électrique en Tunisie et pas les gros 4×4 haut de gamme précisément parce que l’infrastructure ne sera probablement pas prête à temps.

Quelles conclusions tirez-vous de cette expérience et surtout après la période de post-Covid?

Sur le plan sanitaire, sur les plans énergétique et environnemental, le monde est entré dans une période de mutations rapides. Ce qui était impensable hier devient la norme. Il est plus que jamais important de se projeter dans les nouveaux équilibres et ne pas s’accrocher au passé. Cela demande des efforts d’adaptation et c’est douloureux, mais c’est une question de survie.On pourrait penser que la transition électrique est uniquement une contrainte et qu’elle va être subie dans la douleur. Je voudrais insister sur le plaisir de conduire une voiture électrique. Avec son rapport poids-puissance, une Softcar accélère plus rapidement que la plupart des voitures de ville actuellement dans Tunis.C’est une impression de conduite extrêmement légère et silencieuse et c’est un véritable plaisir. Quand vous avez commencé à rouler avec une voiture électrique, vous ne voulez en aucun cas revenir en arrière.

Par ailleurs, nous allons redécouvrir dans les prochaines années des villes silencieuses et reposantes, sans pollution et sans bruit. C’est un véritable progrès pour tous en matière de qualité de vie.

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